Le coût humain des agrotoxines.
Exposition du 29 août au 28 septembre 2019
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Mardi 10 septembre // 18h : Rencontre et signature avec le photographe
Mardi 24 septembre // à partir de 18h : Apéro et rencontre avec l’association Terre de Liens île-de-France autour des alternatives pour une agriculture biologique et paysanne, respectueuses des hommes et de l’environnement
A partir de 19h : Projection du documentaire “Le Grain et l’Ivraie” de Fernando Solanas. Projection à la salle Jean Damme, 17 rue Léopold Bellan (en face de l’atelier)
Terre sacrée. Un génocide au compte-gouttes.
J’ai entamé ce travail fin 2014. Les rapports communiqués par « Red de Médicos de Pueblos Fumigados » étaient accablants. L’ensemble des médias ont à peine évoqué le sujet. Ils continuent de démentir l’existence du problème, en connivence avec le pouvoir politique et les nombreuses firmes agroalimentaires qui les font taire au moyen d’intérêts publicitaires.
A l’époque, il n’existait pratiquement aucune publication, si ce n’est dans quelques médias alternatifs ou dans la presse étrangère. Le silence était de mise.
Je décidai donc de partir et de documenter seul la réalité de la santé des personnes qui habitent les villages sujets aux épandages toxiques.
Dans un premier temps, je me suis rendu à 400 kilomètres de Buenos Aires, où vit Fabian Tomasi. Basavilbaso est une ville de 10 000 habitants située dans la dite « Pampa Gringa » où s’étaient installés les immigrants fuyant la guerre au début du 20e siècle. Rencontrer Fabian fut lumineux, si je puis dire. Son corps fragile, déchiré par les poisons était un cri de détresse qui bouleverse notre conscience et qui, dans notre inconscient, nous envoie dans ces « champs d’extermination ».
J’ai été surpris par la pureté et la vivacité de son esprit tout comme par la dignité de celui qui donne sa vie et qui, avec lucidité, accepte son destin. Fabian, étrangement, fait preuve d’humour et de bonne humeur. Je ne l’ai jamais entendu se plaindre des douleurs alors qu’il ne peut quasiment plus se déplacer seul et que la moindre activité quotidienne nécessite l’ai de sa mère, Bethy. Il ne ressent pas de rancœur mais une profonde colère contre la cupidité de l’homme. Il m’était évident que le gros des efforts fournis par Fabian l’étaient à l’attention de de sa fille, Nadia, pour lui donner un exemple de courage, triomphant.
Malgré lui, Fabian est devenu le plus important symbole de la lutte contre l’agrochimie.
Discuter avec Fabian durant quatre jours m’a permis de prendre la mesure du problème et de repérer sur une carte les lieux où interviewer physiciens, scientifiques, environnementalistes et personnes touchées. Je poursuivis ma route et visitai plusieurs villages situés dans les provinces de Entre Rios, Chaco et Misiones. Lorsque j’arrivai sur la côte et dans le nord, le paysage devint de plus en plus tragique.
Il était très facile, dans les zones impactées, de rencontrer des personnes atteintes. Une rencontre menait à une autre. Des dizaines et des dizaines de personnes m’ont ouvert leur porte et je me retrouvais, encore et encore, face aux mêmes souffrances : malformations congénitales, fausses-couches et cancers. Au fond de moi, je pris conscience que la répétition des mêmes scénarios, des mêmes maladies, ces visages déformés menaient en réalité à une seule et même tragédie, un génocide au compte-gouttes, un génocide insidieux.
L’année suivante, j’empruntai la même route et au cours des voyages suivants, j’élargis le terrain d’investigation à d’autres provinces. Durant tout ce travail de recherche, le lien entre les maladies et la proximité des cultures massivement fumigées, devint une évidence. Endosulfan, methamidophos, chlopyrifos, DDT, atrazine, 2,4-D (un composant de l’Agent Orange utilisé pendant la Guerre du Vietnam), parmi d’autres, sont utilisés dans ce pays malgré l’interdiction de certains d’entre eux. L’agrochimie, avec ses cultures OGM et ses technologies, a mis fin à la diversité des semences que les cultures d’Amérique échangeaient depuis des millénaires. Ce qui implique, outre la perte considérable des richesses de la terre, le déplacement des populations autochtones et une exploitation intensive des forêts naturelles. Ce qui a toujours été alimentation et énergie vitale pour l’homme n’est plus, aujourd’hui, que marchandises et business ? (spéculation ?)
Comment est-il imaginable que toutes les richesses du monde ne profitent qu’à quelques-uns ?
Celui qui contrôle notre alimentation, contrôle notre santé. Et s’ils contrôlent notre santé, ils contrôlent aussi notre liberté.
Il est impératif que nous recouvrions la mémoire et prenions à nouveau conscience que la terre est notre mère. La vie est sacrée.
Pablo E. Piovano
Pablo Piovano est né à Buenos Aires en 1981. Il travaille comme photographe chez Página/12 depuis l’âge de 18 ans. En 2005 et 2014, Pablo a reçu une bourse de la Fundación García Márquez. Il est le lauréat de nombreuses récompenses, notamment le prix Phillip Jones Griffiths Foundation, le premier prix de ‘The Manuel Rivera Ortiz Foundation’ au Festival de New York, il a été récompensé au Festival Internacional de la Imagen (FINI) au Mexique et a obtenu la 3ème place de la Picture Of the Year Latin America. Il était lauréat du Prix Henri Nannen en 2018.
The Human Cost of Agrotoxins a fait l’objet de nombreuses expositions de par le monde, notamment à Berlin, Allemagne, au Luxembourg et bien-sûr en Argentine.
Le photographe a remporté le Greenpeace Photo Award et a documenté dernièrement les conflits de ressources et les droits des indigènes en Patagonie. Patagonia – Territory in conflict est actuellement exposée à Berlin.